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Propos recueillis par
Christophe Kechroud-Gibassier pour France 2
Dessinateur culte de bandes dessinées, fleuron de “l’heroic
fantasy” et de la science fiction françaises des années 70-80,
cofondateur du magazine Métal hurlant, graphiste, designer, Philippe
Druillet a nourri de sa folie visuelle ces Rois maudits cru 2005.
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Ça a commencé comme ça : un jour, le téléphone a sonné. “Allô,
c’est Josée Dayan, vous voyez qui je suis ?” Moi : “Évidemment”.
Elle : “J’ai un projet intéressant à vous proposer, on peut se
voir demain ?” Le lendemain, donc, elle a débarqué dans mon atelier.
Elle m’a expliqué son projet de tourner une nouvelle version des Rois
maudits, de manière radicalement contemporaine, radicalement différente
de tout ce qu’on peut voir habituellement sur le Moyen Âge, son envie
de mettre en scène cette histoire de folie et de démesure dans des décors
hors norme. Ça commençait à me plaire… Elle avait apporté un
dossier bourré d’images, tirées notamment de mes albums de bandes
dessinées. Elle feuilletait… Ici, une cité qui s’effondre :
“C’est ça que je veux pour le bûcher du grand maître du Temple
!” Là, un bateau à quai dans un contre-jour flamboyant : ce serait
une vue du Paris médiéval, etc. Elle parlait déjà formes, motifs,
matières… “Il faut des choses délirantes, surdimensionnées !” Là,
j’ai vite compris que j’avais en face de moi une réalisatrice qui
connaissait bien mon travail et qui savait exactement ce qu’elle
voulait et pourquoi elle faisait appel à moi. Voilà comment je me suis
fait embarquer dans cette histoire, avec pour consigne: “Lâche-toi
!” Alors, j’ai fait chauffer la machine…
Comment s’est organisé votre travail ?
De manière extrêmement cadrée, comme toujours avec Josée Dayan.
Premièrement, documentation à haute dose : elle m’a fait envoyer des
piles de livres sur le Moyen Âge. Deuxièmement, une séance de travail
hebdomadaire au cours de laquelle elle approuvait ou rejetait (j’ai
connu des bides, comme tout le monde) les décors que j’avais dessinés
pendant la semaine et où elle me donnait la “liste des commissions”
pour la semaine à venir. C’est sa méthode : libérer, galvaniser et
canaliser les énergies de ceux dont elle s’entoure. Josée m’a même
entraîné à Rome, avec quelques autres, notamment Fabrice Grange, son
premier assistant réalisateur, pour me montrer tel ou tel monument.
“Je veux ça, et ça… Cet escalier… Il faut que ça grimpe à 40 mètres
de haut !”
Et le passage des dessins aux décors de studio, comme
l’avez-vous vécu ?
Quand vous travaillez des mois à créer un univers et que vous le voyez
tout à coup commencer à prendre forme, à exister en trois dimensions,
vous en bavez de plaisir. C’est une fascination de gamin. Ça, c’est
tout le talent du chef décorateur, Yann Mercier, et de Séverine
Baehrel, son assistante : avoir réussi à comprendre ce que j’avais
cherché à exprimer, sans souci des contraintes techniques, pour le
rendre possible architecturalement, en volumes et en couleurs, et
surtout exploitable sur le plan cinématographique. Les plans de scénographie
qu’ils avaient dressés à partir de mes dessins ressemblaient à ceux
de l’aéroport Charles-de-Gaulle ! Tout y était : les différents
plateaux de tournage, les systèmes de permutations, de changements de décors…
une mécanique à couper le souffle.
Au moment de sa réalisation concrète, vous ne vous êtes pas
senti dépossédé de votre travail ?
Jamais. D’abord parce que, au cinéma, il est hors de question de
jouer à l’artiste Philippe Druillet, créateur des décors délirant,
surdimensionné drapé dans sa fierté, qui livre sa “créââtion”
et s’en lave les mains. On est ensemble et il faut accepter que
d’autres, décorateurs, sculpteurs, peintres…, s’emparent de votre
travail pour l’enrichir de leur savoir-faire. Au début de la
construction, j’ai expliqué aux dessinateurs qui travaillaient à la
mise en oeuvre de mes dessins comment fonctionne mon univers graphique :
les motifs géométriques, du plus petit au plus grand, s’emboîtent
à la manière des fractales. C’est un jeu de construction. Eh bien,
certains ont fini par faire du Druillet aussi bien que moi ! (rires)
Ensuite, parce que mon travail n’a jamais vraiment pris fi n, il
fallait sans cesse enrichir cet univers, répondre à des demandes au
pied levé. Tiens, il faudrait un sceptre, une coupe, un coffre, une
cage… Alors, on s’asseoit à une table et on fait un croquis, et
puis un autre. Et quand il faut modifier un élément au dernier moment,
on le fait. Pour les appartements de Mahaut, à la fin du tournage,
j’avais dessiné une cheminée monumentale avec des gargouilles. C’était
trop long à réaliser, trop compliqué, et puis ça n’allait pas.
Alors nous l’avons refaite en deux jours. Le cinéma apprend à être
humble, à l’écoute, à se plier aux contraintes. Nous étions tous
au service d’une oeuvre, d’une réalisatrice, d’un projet qui nous
dévorait et passait avant les questions d’ego de chacun.
Entretien avec Philippe Druillet, créateur des décors des
Rois Maudits
Propos recueillis par Christophe Kechroud-Gibassier pour France 2
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